Le dindon de la farce

Chapitre 6

Il est temps de servir les premières entrées lorsque la maitre d’hôtel vient m’avertir de l’arrivée de mes invités. C’est tout de même un avantage d’être la chef du restaurant, j’ai le droit d’inviter quelques amis à la réception huppée de monsieur Goetz. Faisant confiance à mon second, je lance les entrées et me faufile dans la salle de réception, suivant Sylvie qui me guide jusqu’à la table de Leia, Noah et…

— Noël ?

Je m’arrête à quelques mètres, alors qu’ils ne m’ont pas encore vu. Sylvie fait un tour sur elle-même pour m’adresser un regard surpris.

— Ce ne sont pas tes invités ?

Je sens un léger affolement dans sa voix alors que ses yeux s’écarquillent.

— Si, si. Ne t’inquiète pas. C’est juste que je ne pensais pas…

— Je sais que c’était une table pour deux qui était réservée mais Leia m’a dit qu’elle avait vu avec toi pour qu’ils puissent être trois. J’ai pensé que tu avais oublié de me prévenir et je ne voulais pas te déranger pour ça alors…

Je lève une main pour l’interrompre, voyant qu’elle commence à paniquer. Leia vient tellement souvent ici que ce n’est pas étonnant que Sylvie lui fasse entièrement confiance. Sauf que je n’ai jamais eu une telle requête de sa part, je n’ai donc jamais accepté qu’ils viennent à trois. Bien qu’il y ait assez de place.

— C’est pas grave, tu as eu raison. Tu peux retourner devant je vais aller les voir.

Sylvie sourit d’une façon plutôt crispée, tout comme moi je suppose, puis s’en va vers la réception. A la table près du mur végétal, Leia et Noël semblent discuter avec entrain. Ma meilleure amie agite ses mains dans tous les sens, signe qu’elle est sur les nerfs, ce qui est étrange car Noah ne semble pas vraiment prendre part à la conversation. Il est venu moins souvent que Leia, mais il prend le temps d’admirer la salle, le décor, les lustres, jetant quelques œillades vers certaines tables qui accueillent des invités plutôt prestigieux. Décidée à aller les saluer, bien que je ne sache pas vraiment comment je me sens par rapport à la présence de Noël, je fais un pas en avant et attire l’attention de Noah. M’adressant un large sourire, il me fait un petit signe de la main sans que les deux autres n’aient remarqué ma présence. Mais alors que je ne suis plus qu’à quelques pas, Monsieur Goetz arrive à leur table et interpelle Noël en le prenant dans ses bras. Les deux hommes semblent ravis de se voir. Dommage, je ne pourrais pas le jeter dehors.

— Tu aurais dû me dire que tu venais, s’exclame Monsieur Goetz en prenant le visage de Noël entre ses mains.

Il rit et lui tapote la joue avant de le relâcher.

— Je suis venu au dernier moment, lui répond-t-il un peu gêné.

Il est toujours aussi mignon quand il se met à rougir. Pourquoi les personnes qui nous déçoivent de deviennent pas plus laides ? Comme je n’ai pas cessé d’avancer, Noah se lève à mon arrivée et me prend dans ses bras.

— Mademoiselle Meyer ? s’étonne Monsieur Goetz.

Je m’écarte de Noah pour le regarder mais Leia me prend déjà dans ses bras et dépose un baiser sur ma joue en me glissant un « désolée » à l’oreille. Je ne sais pas si elle regrette d’avoir ramené Noël sans me prévenir ou si elle veut juste éviter que je la tue. Mais elle a de la chance, je ne peux tuer personne devant Monsieur Goetz à sa propre fête. Et alors que je la fusille du regard, une main se glisse autour de ma taille et des lèvres viennent s’appuyer contre ma joue. J’ai le cœur qui explose tout à coup.

— Bonsoir Swan, glisse Noël d’une voix suave.

Mon visage chauffe instantanément. Je ne suis même pas capable de sourire. J’ai rêvé toute cette semaine qu’il me téléphone, me propose un rendez-vous ou prenne juste de mes nouvelles, j’ai encore un pansement au front sous ma toque à cause de mon coup à la tête. Le bleu n’a commencé à s’estomper qu’il y a deux jours, mais sans mon maquillage on verrait encore un halo jaune et mauve sur mon front.

Lorsqu’il s’écarte, nos regards se croisent et le sien est si lourd de sens que je ne suis pas certaine de le comprendre. Une bouffée de chaleur s’étoffe dans mon ventre sous ses prunelles brunes et d’un seul coup le monde cesse d’exister. Mon trouble est bien plus grand que pendant la soirée de noël, sans doute parce que je ne suis pas ivre en ce moment. Ou alors parce que je me suis imaginée tant de chose durant cette semaine que je délire totalement. Je ne sais même pas comment réagir en cet instant. Je suis passée par tant d’émotion en pensant à lui ces derniers jours que je ne sais plus à laquelle je dois me fier.

— Je te laisse avec tes amis, mais vient me voir tout à l’heure, frangin, lui lance Monsieur Goetz en s’en allant.

Frangin ? Merde ! Noël est le frère de Monsieur Goetz ? Non, ce n’est pas possible. Il n’y a qu’un héritier dans cette famille. A moins que je sois mal renseignée.

— Alors comme ça tu connais Monsieur Goetz, le célibataire le plus prisé de la région ? s’étonne Leia le regard suspicieux.

Noël passe une main dans ses cheveux, allongeant ses boucles brunes.

— C’est mon cousin, nous sommes plutôt proches même si je ne l’ai pas vu depuis quelques mois maintenant.

— Eh bien cette soirée est une bonne occasion de passer du temps avec lui, dis-je d’une voix tendue.

Comme à la soirée de noël, la gêne me fait dire n’importe quoi et d’avoir la main de Noël posée sur ma hanche ne m’aide pas à me détendre. Face à ma réflexion, il m’adresse un regard surpris et pince les lèvres. Une petite dose de colère semble s’immiscer en moi. Je ne sais pas exactement d’où elle vient et c’est très désagréable. Alors avant de faire quoi que ce soit que je puisse regretter, je repousse la main de Noël et m’excuse avant de me diriger tout droit vers les cuisines.